Local I
J’imagine qu’un grand nombre de gens vont prendre l’exposition de Christian Boltanski pour une manifestation d’art conceptuel. Il n’en est rien, du moins dans l’orthodoxie des conceptualistes. Si Boltanski rappelle Beuys par certains aspects, s’il recourt à des moyens appartenant aux promoteurs du non-art (Ben et le groupe Fluxus, en particulier), son travail est essentiellement autobiographique. Il se veut être lui-même le centre de sa création. Son histoire hu-maine, sa vie sont ses seuls sujets. Boltanski cherche à se raconter entier, dans la totalité de son existence, moments forts et moments faibles intimement mê-lés, identiques en qualité et en efficacité. L’idéal pour Boltanski serait sans doute de vivre éternellement dans le champ d’une caméra qui saisirait objectivement chaque fait, chaque geste, chaque accident.
C’est cette totalité d’une existence qui constituerait le véritable vécu d’une pensée. Boltanski connaît la différence entre la réalité et son apparence, l’incompatibilité profonde entre la vie et ce qui en est le résultat.
D’ailleurs, voici ce qu’il dit lui-même de cet état : « Je voulais mettre ma vie en boîte. C’est dans ce but que j’ai acheté il y a quatre mois deux cents boîtes à biscuits, vides, d’une contenance d’une demi tine, aux établissements Giraud à Bondy. Chaque boîte devait contenir un moment de mon existence. C’était un beau pro-jet… Malheureusement, elles ne contiennent pas ma vie, mais des objets qui n’ont pour eux que de refléter le temps que j’ai mis à les faire.»
François Pluchart, Combat, 23 mars, 1970