Les quatre éléments: la terre
Un thème aussi vaste a exigé des organisateurs une certaine audace, conscients de ce qu’il faudrait un musée tout entier pour rendre compte de la place primordiale que tient la terre dans l’art d’aujourd’hui, de même qu’il faudrait tout un livre pour préfacer une telle exposition. Ainsi n’y eut-il aucune difficulté à grouper des œuvres de haute tenue sur ce thème : mais, devant tant de propositions, il fallut choisir. […]
Cette première manifestation pourrait porter en surtitre Hommage à Gaston Bachelard, car elle est la première d’une série qui montrera la place des quatre éléments d’Empédocle – la terre, l’eau, l’air, le feu – dans l’art d’aujourd’hui.
[…] S’il est un élément qui inspire ne réaction positive, c’est bien la terre. Incarnée dans les religions antiques par la déesse Cybèle, elle apparaît comme la mère de toute vie. Elle est symbole de solidité, de fermeté, presque de sécurité, seul élément fiable et partout présent.
Certes, la terre peut difficilement être isolée, elle est irriguée par l’eau, elle a besoin de l’oxygène de l’air, elle recèle en son sein le feu qui dévore. Mais l’eau, qui est la fluidité même, fuit entre nos doigts, l’air qui emplit nos poumons demeure impalpable et invisible, et nous fuyons le feu qui ne donne la chaleur qu’en détruisant. […]
Dans la constante remise en question des valeurs qui caractérisent l’art moderne, dans son désir de revenir aux sources qui le fait comparer à un nouveau primitivisme, le peintre a retrouvé un contact direct avec la matière. Entre la matière qu’il utilise comme un médium et celle qu’il suggère, la différence est devenue infime. Ce n’est pas une image de la terre qui est plaquée sur la toile, c’est la terre elle-même qui semble la recouvrir. Le mérite de l’art de ce siècle est de rendre à la matière sa place, sa beauté et sa primauté.
De toutes les matières, la terre est la première. La terre prend des aspects et des significations infinies dans l’esprit de l’homme. Tout paysage peut être considéré comme une ode à la terre qui nourrit verdure et végétation, qui se soulève en collines, se hérisse de montagnes, se creuse en vallée sous l’action des eaux. Le peintre moderne rend à la terre une existence autonome. La nouveauté en ce milieu du XX ème siècle aura été de voir les artistes appréhender la terre dans son aspect le plus concret, et d’une manière que l’on peut qualifier de matérialiste. C’est la terre elle-même, la terre crue, grasse ou aride, la terre que l’on foule qui est le sujet même des œuvres. A travers cette dialectique, le peintre atteint une poésie nouvelle et révélatrice qui nous incite à proclamer : oui, toute terre est promise, toute terre est sainte.
Georges Boudaille : extrait du texte de l’invitation, février 1967