Au temps d’Oda Jaune

Essai

La jeune critique d’art Rose Vidal se penche sur l’œuvre d’Oda Jaune à la lumière du « temps de la peinture », à l’occasion de la participation de l’artiste à l’exposition collective ‘Immortelle’ au MO.CO. à Montpellier.

Depuis Londres, dans le puits de lumière de son atelier, Oda expand son univers ; ses gestes s’amusent de tout, touchent à la vidéo, sculptent le plâtre, cousent également… et produisent ainsi toutes ces formes qui ne sont pas la peinture, mais s’articulent toujours à elle sans qui, peut-être, elles n’existeraient pas. C’est qu’Oda Jaune est une peintre avant toute chose. Être une peintre, en 2023, cela implique beaucoup, et surtout beaucoup de temps, de temps différents. Il y a bien sûr le temps long et ancien de la peinture, qui s’écrit ou se brosse depuis des siècles et des siècles, où se dessine un réservoir de gestes, de thèmes, d’exploration picturale — ainsi que les représentations qui habitent notre regard et prescrivent parfois nos façons de regarder. La peinture se regarde elle-même, les peintres observent, se retrouvent et se contestent, au fil d’une histoire qui s’est traditionnellement écrite comme une toile, c’est-à-dire touches après touches.

Le temps des sociétés, de leur fabrique de l’art, et des économies qu’elles laissent aux artistes, est un temps intermédiaire. Il ne tient pas entièrement dans la longueur d’une vie, mais chaque vie est prise dans ses remous. Ce sont par exemple les quelques décennies qui ont vu la peinture déchoir, après avoir longtemps couru parmi les arts majeurs. Être une peintre, comme l’est Oda Jaune, c’est traverser en peintre une époque qui ne peut plus voir la peinture en tableau. Une époque où les écoles d’art ferment leurs portes aux vieilles pratiques des ateliers de peinture, rompent la chaîne de leurs enseignements ; où dans les expositions, les lumières se tournent vers d’autres formes, d’autres gestes. Une époque où la peinture qui continue de fonctionner dans les économies de monstration de l’art est finalement assez éloignée de celle qui occupe et préoccupe Oda Jaune – le temps n’est plus à la composition figurative.

Ce moment de la peinture à l’échelle de la société est peut-être, en creux, le sujet de l’exposition ‘Immortelle’ au MO.CO., curatée par Numa Hambursin, qui accueillera du 11 mars au 7 mai 2023 des œuvres d’Oda Jaune, parmi celles de plus de cent dix autres peintres : interroger cette disparition, non seulement en prenant acte des ruptures qu’aurait pu causer ce retrait de la peinture du devant de la scène, mais encore en lui opposant les productions d’artistes qui n’en cessèrent pas moins de peindre. Le sujet, « en creux » – car de façon pleine, il s’agit sans doute de montrer que la peinture a toujours pleinement eu lieu, et de lui rendre enfin la visibilité dont elle aurait été privée ; de saisir cette opportunité pour rejouer les liens, les effets de parenté, de transmission, qu’une telle visibilité aurait forgés en lui donnant la forme d’une scène.