Le marchand de couleurs – LES ÉCHOS

Avec près de soixante ans d’activité, la galerie de Daniel Templon s’est forgé une solide renommée internationale et compte parmi les acteurs majeurs de la scène artistique contemporaine. Rencontre avec son fondateur à l’heure d’une exposition consacrée à Pierre et Gilles.

Par Maud de la Forterie

« Pouvez-vous définir les liens qui vous unissent aux artistes depuis des décennies ?
Les collaborations avec les artistes commencent, s’arrêtent parfois lorsqu’il y a une lassitude ou des désaccords, cela fait partie de la vie des galeries: toutes ont connu des arrivées, des départs et des ruptures dont les motifs sont naturellement très divers. Les artistes aussi disparaissent, j’ai exposé ainsi beaucoup d’artistes désormais décédés, notamment les pop, comme Roy Lichtenstein, Rauschenberg mais aussi des artistes minimalistes tels que Donald Juudd. Il en va de même pour les Nouveaux Réalistes comme César, Armand. Et puis, bien sûr, il y a ceux avec lesquels on continue de travailler.

Vous comptez parmi les premiers à avoir exposé l’art américain sur le marché français.
J’ai ouvert ma galerie en 1966 et personne ne montrait à cette époque l’art américain, si ce n’est Ileana Sonnabend, la seconde femme de Leo Castelli, le grand marchand d’art. C’est avec Catherine Millet, en 1968, que j’ai découvert les artistes pop et minimalistes à la Documenta de Kassel, la plus belle manifestation artistique de l’après-guerre. Dès lors, il m’a semblé que l’art ne pouvait plus être figé dans une direction purement abstraite : selon moi, l’art figuratif raconte plus. »

« L’histoire de la galerie se confond avec celle du développement du marché de l’art et l’émergence de nouveaux courants artistiques dans la deuxième moitié du XXème siècle. Vous êtes un défricheur…
Depuis toujours, ce qui m’intéresse c’est la découverte des artistes. Sans cela je serais devenu une galerie classique, c’est-à-dire n’exposant que des artistes décédés. Mais j’ai toujours recherché les artistes de demain, c’est réellement ce qu’il y a de plus passionnant . On m’a souvent dit « Si je t’avais connu il y a trente ans ou quarante ans, ou bien si je t’avais écouté, j’aurais pu acquérir des œuvres de Warhol, Basquiat, de Kooning », soit des œuvres qui valaient à l’époque entre 15 000 à 25 000 dollars… Mais ce constat est valable pour les jeunes artistes contemporains : certains d’entre eux feront la même carrière que ceux que je viens de citer.

L’intuition, mais aussi la foi sont-elles nécessaires pour découvrir de jeunes artistes ?
Oui, car des artistes il y en a beaucoup. Si j’en choisis un plutôt qu’un autre, ce sont pour des raisons qui relèvent de la conviction. Je ne vais pas aller jusqu’à dire que c’est comme une rencontre amoureuse, mais c’est de cet ordre-là, si ce n’est que l’on pense au mariage tout de suite ! »

« Pierre et Gilles font partie de notre patrimoine culturel national. Leur œuvre est totalement originale, sulfureuse à ses début et, depuis, continuellement pleine d’esprit: elle est toujours de bon goût malgré leur charge provocatrice. »

Daniel Templon pour Les Échos

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« Ce n’est donc pas simplement une question de talent ?
Bien sûr il y a le talent. Mais il y a également l’ambition : c’est une vérité, ne réussissent que ceux qui ont envie de réussir ! Ainsi je me demande toujours : est-ce que cet artiste veut compter parmi les plus grands de sa génération ? J’ai rencontré beaucoup d’artistes très doués, mais dépourvus de volonté. Les artistes talentueux et ambitieux sont les plus intéressants. Ce sont ceux avec lesquels j’ai envie de travailler, tout comme mon fils Mathieu, qui dirige notre galerie new-yorkaise. Je peux ainsi citer Robin Kid, mais également Kehinde Wiley, Jeanne Vicerial, Omar Ba ou bien encore Alioune Diagne, lequel représente le Sénégal pour sa première participation à la Biennale de Venise. Sans oublier l’artiste japonaise Chiharu Shiota, dont l’œuvre poétique et spectaculaire sera mise à l’honneur en décembre prochain à l’occasion de sa grande exposition monographique présentée au Grand Palais pour sa réouverture.

Aves eux, votre galerie tisse ainsi un dialogue entre des artistes de différentes générations
Oui, Robin Kida tout juste 33 ans tandis que Jim Dine, lequel a fait l’objet cet été d’une grande exposition à Venise, est quant à lui âgé de 89 ans ! Il ne s’agit pas d’écarter les artistes âgés ou décédés… Récemment, à New York, nous avons exposé George Segal, le grand artiste disparu en 2005 présent dans tous les musées du monde… Et je n’ai rien vendu car il n’est actuellement pas « à la mode » ! Mais le marché de l’art n’est pas l’histoire de l’art.

Vous présentez cet automne une exposition consacrée aux récents travaux de Pierre et Gilles.
Pierre et Gilles font partie de notre patrimoine culturel national. Leur œuvre est totalement originale, sulfureuse à ses début et, depuis, continuellement pleine d’esprit: elle est toujours de bon goût malgré leur charge provocatrice. Leur protocole est unique, dans leur atelier, Gilles réalise les prises de vues – décors et mises en scènes à l’appui – puis Pierre s’occupe de la reconstruction picturale. Je travaille avec eux depuis quinze ans et chaque exposition au sein de la galerie s’accompagne d’un record de fréquentation. Ils sont mondialement connus mais jamais ces grands artistes n’ont obtenu le soutien institutionnel qui devrait leur revenir. »

« Le Carré d’art de Nîmes a récemment mis à l’honneur Claude Viallat et, en 2022, le Centre Pompidou a consacré une grande rétrospective à Gérard Garouste. Votre ligne éclectique défend vivement les grans artistes français.
Il m’a fallu dix ans pour convaincre le centre Pompidou ! Je me suis battu parce qu’il n’en voulait pas. Et ce fut une bonne idée, l’exposition a enregistré 228 000 entrées, soit un record pour un artiste français. L’engagement humain est au cœur de mon activité. C’est un combat.

Un combat également pour la peinture et la couleur…
Marie-Christine Labourdette, précédemment directrice des Musées de France et désormais présidente du château de Fontainebleau, m’a un jour glissé: « Tu n’es pas un marchand de tableaux, tu es un marchand de couleurs. » Cela me résume bien. »


Header : Portrait de Daniel Templon et Mathieu Templon dans leur galerie rue du Grenier-Saint-Lazare, à Paris.
Deuxième image : Vue d’exposition, Jim DIne – Dog on the Forge, 60ème Biennale de Venise, Palazzo di Rocca, 2024
Quatrième image : Vue d’exposition, Robin Kid – Searching for America, TEMPLON New York, 2024.


 

Actuellement chez TEMPLON

Après les peintures des années 70 et celles des années 80 présentées respectivement en 2015 et 2019, la Galerie Templon poursuit son exploration de l’œuvre de Jules Olitski (1922-2007), grand maître du Color Field américain. Cette nouvelle exposition, déployée en deux volets entre Paris et New York à la galerie Yares, se concentre sur les œuvres des années 90.

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Pierre et Gilles réalisent des portraits oniriques à la frontière entre peinture et photographie. Avec leur nouvelle exposition « Nuit électrique » à Templon Paris, le duo assume sa longévité, sa place de portraitiste de l’époque et de pionnier des questions LGBTQIA+.

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TEMPLON Bruxelles inaugure cette nouvelle saison artistique avec le peintre franco-algérien Bilal Hamdad.

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Templon New York is pleased to announce Searching For America, an immersive exhibition of new works by Robin Kid, which will be the artist’s first solo exhibition in the United States.

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