Un espace mental de méditation et d’ascèse

Olitski fait partie de cette génération d’artistes américains qui, à la fin des années 1950, prirent le relais de l’expressionnisme abstrait de Pollock […]. Ces peintres, Noland, Kelly, Poons, Stella. Olitski, etc. célèbres aux Etats-Unis, sont peu connus en France. L’ensemble de peintures d’Olitski qu’expose la galerie Daniel Templon est superbe, et bien des peintres de sa génération en France, de Debré à Messagier et Monory, ne s’y sont pas trompés. Russe d’origine, âgé de 58 ans, Olitski a, comme Noland et Kelly, vécu à Paris où il est arrivé en 1949, et été fortement marqué par la peinture européenne. Il s’est surtout intéressé, en dehors des grands classiques – Picasso, Gris, Bonnard, Matisse, Braque –, à l’oeuvre de Dubuffet, mais ses toiles, très « cuisinées », étaient surtout influencées par Fautrier. Son problème consista surtout à tenter d’échapper à la représentation, et à situer sa peinture sur le seul plan du tableau en chargeant la couleur d’une densité et d’un dynamisme telle que celle-ci fasse corps avec le support. Olitski travaille par pulvérisation ou projection de couleur acrylique parfois mêlée de gélatine, il développe de vastes espaces presque monochromes, opaques mais fluides et diffus, ou au contraire matiéristes, granuleux, parfois cernés, sur les bords du tableau, d’étroites bandes colorées appliquées au pinceau. Le regard s’y attache et déborde, butant sur des coulées plus épaisses, des grains plus drus, des sillons qui coupent l’étendue de la toile comme la ligne de partage d’indéfinissables vibrations. Peinture d’action et de contemplation, à la fois murmure et discours, les tableaux d’Olitski s’ouvrent sur un infini vertical et tendu dont les amples nappes de couleurs semblent porter et dissimuler leur propre gestation.

Pierre Cabanne, Le Matin, 27 novembre 1980
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