Martin Barré

Peintures récentes

« On vous a souvent classé parmi les peintres gestuels mais votre geste ne ressemble en rien, ni à celui des abstraits expressionnistes, ni à celui des abstraits lyriques. Vous avez plu- tôt toujours mis en rapport ce geste avec des formes presque géométriques. N’y a-t-il pas une contradiction entre l’incontrôlé du geste et la rigueur des formes géométriques ?

Vers 1957-58, je suis sorti progressivement d’une peinture plus en aplat; la touche s’est libérée… C’est une influence de Frans Hals et non de la peinture gestuelle d’alors, parce qu’à cette époque j’ai prêté beaucoup plus d’attention à Frans Hals qu’à l’« action-painting ». Des origines au XXe siècle, l’art nous apparaît de plus en plus sur un plan unique, c’est-à-dire que tout cela nous semble contemporain.

[…] Mais pourquoi le geste serait-il nécessairement synonyme de rigueur et de contrôle ? N’y a t-il pas ici et là au contraire tout un jeu merveilleux de possibilités entre un geste très contrôlé et une géométrie qui tenterait de faire oublier sa rigueur. Toute trace, tout graphisme est le fait d’un geste, même un trait tiré avec une règle. Même un dessin industriel m’apparaît comme un ensemble de gestes. Sans contra- dictions, sans paradoxes y aurait-il une évolution de la peinture, et sans évolution, une peinture ? »

 

Un élément nouveau était introduit dans les tableaux de la dernière exposition : une découpe formelle – au crayon, presque en filigrane – de la toile. Quel est son rôle, notamment par rapport au geste que cette grille semble vouloir limiter ?

Dans une exposition chaque toile n’est qu’un fragment, ainsi que l’exposition où la série de toiles qui y sont montrées ne sont que des fragments de l’œuvre. Nous fragmentons par nécessité beaucoup plus que ne le font les architectes ou les cinéastes. Ce caractère fragmentaire est mis en évidence dans mon travail récent : je voudrais que l’on sente combien chaque toile se rattache à un ensemble.

La grille (grille-réceptacle) qui est une grille progressive fragmente la surface donnée. Elle s’inscrit dans cet espace qui est déjà un choix avec son rapport hauteur-largeur et qui, au lieu de se lire par moitié, tiers ou quart, grandes diagonales ou rabattement de petit côté, ou toute autre méthode habituelle, se divise en carrés parce que c’est la figure la plus non-figurante et qu’elle se multiplie ou se divise le plus simple- ment possible. Dans cette grille viennent s’accro- cher les diverses interventions qui marqueront les temps progressifs d’une cristallisation et qui à nouveau s’inscriront dans une nouvelle grille, ou bien dans son multiple, ou au contraire dans sa fragmentation. »

Catherine Millet, art press, novembre 1974

L’artiste