Martin Barré

Peintures récentes

« On s’est trompé sur le sens de ce mot, figure, en tirant de lui l’adjectif « figuratif» pour dire: qui imite le monde des objets. Car la figure est intransitive, elle ne figure pas quelque chose, mais se compose des rapports de ses parties, formant configuration ; elle implique à l’intérieur d’elle-même la constatation de ce qu’elle est. La peinture n’a pas besoin d’être figurative – de figurer des objets ; mais elle affirme nécessairement le mode de sa construction : elle est figurale. C’est cette figuralité de la peinture que met en évidence (pour qui l’avait oubliée) la présente exposition de Martin Barré.

Ce n’est pas qu’elle soit en rupture avec son passé ; bien au contraire, on y discernera les échos de ses expositions antérieures dont chacune apparaît, aujourd’hui, comme l’exploration presque clinique, nécessaire, des ingrédients d’une hypothèse d’ensemble : l’unité de vingt années de production éclate à travers la synthèse actuelle. Et les présentes toiles nous font prendre conscience de la figuralité de sa peinture à travers ce qui m’apparaît comme leurs deux grandes constantes. La première est que c’est là une peinture littérale. Le tableau n’est pas vrai par rapport au monde ou au peintre, ce qu’il ne saurait être ; c’est une vérité du tableau par rapport au tableau même. Par exemple, il est un objet plat : en vain chercherait-on dans les toiles ici présentes un effet de perspective ou de profondeur. La surface figurée est isomorphe au support figurant. Ou encore : le tableau n’est jamais clos sur lui- même, il devient ce qu’il est par ses rapports avec les autres tableaux présents (dans la galerie) ou absents, […] avec toute l’expérience humaine de la vision. Le tableau est donc, par définition, un fragment. Ce caractère fragmentaire est ici offert, immédiatement, à la vue : le découpage figuré à l’intérieur du tableau ne coïncide pas avec celui qu’impose le cadre du tableau lui-même ; l’embrasure du tableau ne nous montre qu’un fragment de « la grande grille qui parcourt l’espace pictural entier. Le tableau ne représente pas mais il n’est pas non plus, n’est pas l’objet précieux qu’on contemple. […] Ici, le pictural est toujours déjà méta-pictural ; le tableau, nécessairement, une théorie du tableau.

 

La seconde constante […] n’est qu’une application de ce même littéralisme à l’activité picturale prise dans son entier. Plutôt que de présenter le produit d’un geste (= des tableaux), Martin Barré nous amène à voir le procès de production et de réception.De production : en témoignent les effacements, visibles en transparence, des versions antérieures.

[…] Ou encore les différences dans les traces laissées par la brosse: la durée de la production implique la variété des formes mises en œuvre. C’est ainsi que le temps, élément essentiel que la théorie classique croyait étranger à la peinture, s’impose à l’évidence.

De réception : les conditions de la vision sont telles – fugitive, partielle, négligente – qu’on doit l’aider par une série d’interventions ; d’où la simplicité du contrepoint plein-vide ou de celui entre la régularité du dessiné et l’irrégularité du peint; la progression arithmétique dans l’écartement de la grille; la variation, inépuisable, dans le semblable. Car la peinture n’est pas un objet accroché au mur mais ce qui s’imprime dans la mémoire ; il faut que le peintre y travaille à son tour.

De production-réception : les lignes parallèles s’écartent plus ou moins de la verticale pure comme les points de vue individuels se rapprochent d’une objectivité qu’ils n’atteignent jamais. Constantes qui gouvernent et dictent jusqu’aux moindres détails de ces toiles strictement élaborées. En même temps, cette exposition est loin d’être l’illustration tranquille de principes qu’on énoncerait par ailleurs. […]

Le refus de la règle est illusoire ; mais ne l’est pas sa subversion dans le jeu. «…Figure porte présence et absence, plaisir et déplaisir. »

Tzvetan Todorov, Texte de l’invitation à l’exposition

L’artiste