Signes
Cet automne, l’espace bruxellois de la galerie Templon accueille pour sa première exposition personnelle en Belgique Abdelkader Benchamma. L’artiste s’est notamment fait connaître pour ses dessins à l’encre noire, in situ et souvent éphémères, qui dialoguent et transforment les espaces d’exposition en d’étranges et vastes paysages, autant physiques que mentaux, parcourus par des énergies à la fois subtiles et chaotiques.
Pour l’exposition Signes, Benchamma s’extrait des fresques immersives et propose un nouvel ensemble de dessins et de peintures sur papier dans lesquels il s’intéresse à la représentation des miracles et de nos croyances, de la mythologie antique jusqu’à l’ère du numérique. Cette variété infinie de signes qui la compose propose de voir et d’interpréter l’image et son statut de différentes façons : si le signe est une trace ou une écriture, il dit surtout l’impossibilité de lire un événement d’une seule façon.
Signes dévoile deux séries importantes dans l’oeuvre de l’artiste –Book Of Miracles, Trees et Engramme–, inspirées de sa collecte d’images qu’il glane dans la presse, sur internet et dans l’histoire de l’art. Il s’intéresse aux différentes formes d’apparitions et à leurs représentations, qui traversent l’histoire humaine en se transformant au gré des inventions technologiques et des nouvelles croyances. On y retrouve des anges, d’étranges phénomènes célestes, des photographies d’ovnis, des arbres qui se déforment pour écrire le nom de Dieu dans une singulière calligraphie ou encore des rituels et des lieux de cultes dont les formes et leurs significations semblent traverser l’espace et le temps. Abdelkader Benchamma puise ses sources tant dans les sciences humaines, comme l’anthropologie, que dans les sciences dites parallèles comme la parapsychologie ou la magie. Dans les sciences dures également, car l’astrophysique et ses hypothétiques univers parallèles ne sont jamais loin.
Ces visions célestes ou oniriques sont parfois des images-rebuts. Souvent dotées d’un faible spectre spirituel, elles relèvent du folklore ou de la superstition. Reproduites jusqu’à la déformation parfois, on les retrouve d’un site internet à l’autre pour nourrir les rumeurs de la toile. L’artiste rejoue ce même principe de répétition et de propagation – notamment pour la série Book of miracles, Trees –, en proposant différentes variations du même sujet. Par la poésie du dessin, elles retrouvent alors leur caractère insaisissable, la magie et le mystère dont elles ont été privées.
Book of Miracle, Trees représente une étrange forêt, parcourue d’un flux, comme si le végétal semblait habité. Ces arbres dessinent une forme d’écriture qui apparaît grâce à un jeu subtil de vides et de pleins. La série s’inspire d’une photo dérobée sur la toile. L’auteur de ce cliché affirme que les arbres se sont déformés pour réciter une prière coranique. À partir d’une image de miracle, prônant comme souvent, et en filigrane, la prééminence d’un Dieu sur l’autre, Benchamma crée une scène animiste où la nature semble être la seule véritable force à l’œuvre. Une nature traversée par des énergies invisibles et non représentées, rejouant ainsi l’impossible figuration prescrite par l’Islam.
Certaines de ces scènes sont reprises et intégrées dans la série Engramme. Initiée à Rome lors sa résidence à la Villa Médicis, cet ensemble de grands formats matérialise le fonctionnement des mémoires du vivant, rend visible la naissance des images et leur processus de transformation. Proches de la peinture, les Engrammes sont à la fois jetés, lâchés et extrêmement précis, comme ces strates à l’encre noire et à la terre de Sienne que l’on retrouve d’un dessin à l’autre. Elles évoquent autant des couches géologiques que des substrats d’images et d’histoires qui nous habitent. Là, les visions resurgissent – certaines très réalistes, d’autres à peine esquissées – telles des scènes effacées, voire fantomatiques.
Né en 1975 à Mazamet (France), Abdelkader Benchamma vit et travaille à Paris et Montpellier. Benchamma a choisi le dessin noir et blanc comme medium de prédilection. Variant les approches graphiques, il aborde tantôt la feuille d’un trait minutieux de graveur tantôt le mur d’un geste généreux qui s’approprie l’espace. La matière s’évade du cadre dans une croissance organique. Nourris de littérature, de philosophie, d’astrophysique, de réflexions ésotériques, ses environnements mettent en œuvre des scénarios visuels qui questionnent notre rapport au réel sondant les frontières avec l’invisible.