Histoire

Les quatre éléments

Le feu

8 février – 2 mars, 1968

C’est près du feu que l’homme pouvait vaincre les peurs que lui inspirait la nuit ; c’est près du feu qu’il découvrait les autres […], dans ce jeu mouvant des éclairages qui, brusquement, sculptent un visage que l’on croit connaître et que l’on découvre chaque fois différent. Oui, autour de cette mobilité, toute la vie sociale s’organise, depuis les danses guerrières jusqu’aux feux de camp, et en passant, les messes noires, les séances de sorcellerie, les conseils tribuns… Mais le feu est aussi l’instrument d’un supplice. Charmeur, féminin, il est aussi cruel, mordant. Son chant peut aller du murmure sous la cendre aux grandes symphonies de l’incendie. […] Le feu c’est aussi « l’instant ». Son passé ? C’est la matière dont il s’alimente : le bois qui, sous lui, craque et se fend, le papier qui se tord, l’eau-de-vie qui explose. Son avenir ? Rien ou presque, quelques cendres, des formes sans contours ou érodées, mangées, malades d’une lèpre inquiétante. Il purifie, dit-on, mais il jette sur le monde, là où il passe, d’étranges enfers, des Hiroshima.
Jean-Jacques Lévêque, texte de l’invitation, Février 1968

Michel Tyszblat

28 mars – 30 avril, 1968

On dit que Kandinsky découvrit un jour la peinture abstraite en regardant un tableau qui était à l’envers et sur lequel le soleil jouait. Simple, n’est-cepas ? Mais génial. Comme la pomme de Newton ou la terre de Galilée, personne encore n’y avait pensé. Depuis, pourtant, la terre tourne, les pommes tombent en respectant fidèlement les lois de la pesanteur et les peintres sont obligés de se mettre la tête à l’envers pour nous peindre des choses abstraites et nous éclabousser du grand soleil qu’ils ont là. Bon. Reprenons. Les pommes tombent. La terre tourne, tourne. Les têtes tombent comme des pommes, les pommes de terre… Mais, qu’est-ce que j’raconte, faut-il que la tête me tourne, voilà que les pommes dansent la carmagnole, elles n’obéissent plus qu’aux lois de la lévitation. Allons, reprenons. Cézanne peignait des pommes. Michel Tyszblat, on lui lèche la pomme, on lui épluche sa pomme, il la croque, mais il ne la peint pas. Je mets tous les auteurs de l’ancien et du Nouveau réalisme au défi de trouver dans sa peinture la moindre pomme.
Marc Albert-Levin Texte du catalogue, mai 1968

Luc Peire

2 – 28 mai, 1968

Dans les tableaux des dernières années, Peire est resté fidèle au principe acquis : un tableau est une surface à deux dimensions dans laquelle les manifestations de l’esprit et de l’âme s’unissent, où la clarté de la construction et le charme de la poésie se fondent en un moment unique. Malgré l’ordonnance sévèrement géomètrique des carrés, des rectangles et des poutres, la poésie monte le long d’un jeu de lignes sensibles ; sur la statique du constructivisme se meut la vivacité du linéarisme ; dans l’abstraction des rapports des plans vivent la rythmique et la sensibilité des lignes.
Jaak Fontier, extraits de Luc Peire, rétrospective, Stedelijk Groeningemuseum, Bruges, 1966

Arnal

1er octobre – 2 novembre, 1968

Venant à une époque où d’autres découvraient la valeur significative de l’objet brut, ces oeuvres pouvaient servir de transition. Les sculptures qu’il présente actuellement peuvent également être vues sous cet angle : les leçons de l’art abstrait n’y sont pas oubliées malgré le goût de l’artiste pour les matériaux modernes, pour la multiplication des oeuvres, et pour ces formes simplifiées qui nous viennent d’Angleterre, et que les Parisiens ont pu voir l’an passé avec l’exposition de Philippe King. Dans ces oeuvres en vinyle coloré, cousu et rempli de mousse expansée, se retrouve tout le jeu sensuel des oppositions entre le mou et le dur, entre les formes pénétrantes et pénétrées, entre les volumes angulaires et les volumes arrondis… Autant de choses qui font partie du vocabulaire essentiel de l’art abstrait. On y retrouvera pourtant plusieurs traits caractéristiques des oeuvres contemporaines, dont le plus important est, certes, d’apparaître aux yeux du spectateur comme des objets destinés au jeu : posées simplement sur un socle impeccablement adapté, en plexiglas, ces poupées pour grandes personnes semblent faites pour être manipulées ; leur légèreté, l’aspect utilitaire du matériau employé, la mollesse même des volumes s’adressent davantage à la main qu’à l’oeil.
Grégoire Muller, Pariscope, 2 octobre 1968

Castor et Pollux, 1966-1967
Vue d’exposition, Arnal, 1968