4 – 28 février, 1969
La différence entre Humair et les faiseurs de graffiti, les lyriques viscéraux, c’est qu’il a la curiosité perverse, voire Ie courage impudique de se relire et que le temps qui l’essouffle, bizarrement, participe à la toile. Par procédé photographique, le dessin avorté au bord d’un papier négligé reprend vie pour éclore aux dimensions du tableau. Aussi débridée que soit sa verve à peine jaillie, les contingences inconscientes, habitudes excessives du bavardage et lieux communs, tentent aussitôt de l’absorber, de la résorber : chronologie de la narration (la mise en page est progressive), formes simplifiées et conventionnelles, Ie coeur, le pétard, la marelle, à peine plus maladroites et torturées que d’autres, les mots enfin, définitive compromission. Il compartimente la toile, classe, numérote 1 – 2 – 3 – 4 – cinq. Mais la phrase – peut-être une boutade insolente – déborde de la toile, perd son sens ou s’efface à moitié, devenue témoin d’un remords ; mais un vert cru, un vert pomme, vient contrarier un vert sombre et savant, et les encadrements consciencieux éclatent en serpentins bigarrés. L’image spontanée, traîtreusement, n’est pas forcément la plus sincère. Humair la prolonge et l’explore. II succombera malgré lui aux contraintes de notre langage. Il n’en finira jamais de rattraper et d’y récupérer Ie sien, tentative désespérée pour jeter les ponts de l’un à l’autre.
Catherine Millet, Préface du catalogue, 14 janvier 1969
11 mars – 12 avril, 1969
Télémaque a renoncé à la peinture pour développer des assemblages de tiges dans un esprit nautique. On ne se croit pas tout à fait au bord de la mer, mais on croirait bien qu’on va participer à des régates. Dufo, dont j’avais aimé les malles et les cravates peintes sur plastique transparent à la dernière Biennale de Paris, présente une suite de variations sur le thème du tabouret de cuisine, selon la même technique.Mais, de plus en plus, I’objet tend à sortir du cadre de la toile pour envahir I’espace. Cette tendance se situe bien dans Ie sens de certaines recherches actuelles. Samuel Buri, qui a toujours affectionné les jeux de matière et les procédés inédits, expose des cahiers de feutre, de diverses couleurs, découpes. On lit les mots « rot-gelb-blau » taillés en creux dans une matière pelucheuse. Cette expérience dépasse la provocation par ses authentiques qualités plastiques. Titus-Carmel, enfin, accroche des fruits et des légumes, bananes, aubergines, pommes, sur des étagères. Lorsque I’objet est seulement accroché au mur, il acquiert une présence insolite, difficilement explicable, mais qui a sa beauté et qui se situe d’emblée dans Ie domaine de I’art. Pourquoi ? Lorsque Titus-Carmel compose, lorsque ses étagères chargées de fruits sont disposées sur une toile peinte, simplement mais avec sensibilité et talent, alors il atteint à un niveau pictural qui est celui des grands peintres de l’histoire.
Georges Boudaille, Les Lettres françaises, 19 mars 1969
22 avril – 3 mai, 1969
L’exposition Pornographie (« la dernière retombée majeure de mai 68 pour Rancillac », note Serge Fauchereau) annonce une nouvelle direction. En avril 1969, la Galerie Templon est la cible d’attaques, et ses tableaux sont vandalisés par un public outré. Des agrandissements de photos coquines, homosexuelles ou sacrilèges (Les Souris de la sacristie – des petites filles avec un curé) sont déchirées au niveau des parties génitales, tandis que les quelques spectateurs « lubriques » sont incités à répondre aux questions suivantes d’une enquête concoctée par Pierre Bourdieu : « A la vue de cette exposition, pensez- vous que l’art puisse avoir un effet libérateur ? Parmi les oeuvres présentées dans le cadre de cette exposition, y en a-t-il qui vous semblent belles ? Les mêmes sujets traités picturalement vous sembleraient- ils plus acceptables ? »
Sarah Wilson, extrait du catalogue, Rétrospective 1962-2002, Musée d’art moderne de Saint- Etienne, 2003
13 mai – 7 juin, 1969
Loin d’être une imitation docile d’objets, ces images mettent en question Ie principe même de la représentation (en ne montrant rien d’autre que ce qui est déjà là) et créent un espace antimimétique. La peinture abstraite se place d’emblée dans la non-représentation. Martin Barré a choisi de ponctuer la frontière de I’art imitatif, d’en tracer la clôture. Une telle démarche a quelque chose d’exemplaire. La toile blanche a toujours été la limite vers laquelle tendait son oeuvre ; mais cette limite garde sa raison d’être précisément dans la mesure ou elle n’est pas atteinte, où entre elle et la toile exposée, reste une différence qui engendre Ie sens. Le presque rien a plus de valeur que Ie rien, dire le silence est plus important que se taire. L’absence de I’objet – comme I’absence du peintre – ne peuvent se dire qu’à travers le mouvement de leur disparition, non en montrant une toile blanche.La peinture naît de I’approximation, du jeu dans le jeu, de la différence dans la répétition. Ce n’est pas tout. Sur ces toiles, on ne voit pas simplement les objets que I’on voit, à côté d’elles ; on voit aussi comment on les voit.
Tzvetan Todorov, Préface de I’exposition, mai 1969
6 – 22 novembre, 1969
Michel Journiac est, en France, Ie seul artiste par qui Ie scandale puisse encore arriver. Depuis qu’il s’est manifesté pour la première fois, il n’y a guère plus d’un an, on saccage son travail, on I’insulte, mais on parle de lui, fortement, de plus en plus fortement. On Ie donne pour I’artiste tombé de la dernière pluie alors qu’il est Ie plus lucide, Ie plus conscient et sans nul doute Ie plus efficace de tous les artistes qui ont décidé de tordre Ie cou au Néo-réalisme et à toutes les formes d’expression plus ou moins conceptuelles. L’escalade créatrice de Journiac a quelque chose d’admirable. Après avoir investi Ie vénérable cloître des Billettes, lessivé tous les produits récupérables de I’art contemporain et traqué les implications artistiques de la liberté corporelle, Journiac vient de célébrer la « messe pour un corps ».
François Pluchart, Combat, 17 novembre 1969