Histoire

Arman

Poubelles organiques

15 janvier – 16 février, 1974

C’est la salle entière de la galerie Iris Clert qu’Arman avait remplie de détritus — « propres » — il y a un peu plus de dix ans. […] Arman reprend aujourd’hui le même thème. Il améliore sa technique et enrichit paradoxalement d’un écrin de luxe les miettes d’une société dont l’opulence se mesure au volume de ses résidus. Arman, qui a brisé et calciné des violons avec le raffinement d’une composition cubiste, accumulé les objets produits par l’industrie, et fait splendidement éclater des tubes de couleurs dans la masse cristalline de blocs de polyester, propose une série de « poubelles » comme oeuvres d’art. En quelque sorte, les ramasse-miettes de cette société qui produit, consomme et détruit. Le processus se trouve symbolisé dans ces boîtes de plexiglas, […] pleins à ras bord de rogatons de ce que nous consommons. […] Les scories d’une société sont à son image. « Les pays industriels ont les mêmes poubelles », dit Arman. « Aujourd’hui, la Française ressemble à l’Américaine, parce que nous consommons, à peu de chose près les mêmes produits. Ce que nous fabriquons le plus par tête d’habitant, ce n’est ni l’acier ni le beurre, mais le détritus. » Il les a « statufiés » dans ces boîtes de résine de polyester pour en faire à la fois un constat et un instrument de « critique sociale », comme si elles devenaient les pièces à conviction de notre réalité pour les archéologues du futur. Et pour nous-mêmes, qui sommes nos propres archéologues devant un présent qui change. Finis les moyens « pauvres », Arman pare d’habits neufs son idée ancienne. Ses « poubelles » sont maintenant des objets de luxe, richement emballés comme s’ils s’adaptaient au public américain, auprès duquel sa réputation s’est assise ces dernières années. […] Pour fabriquer cette nouvelle série de « poubelles », Arman est dans son atelier de Saint-Paul-de-Vence comme à l’usine.

Il dispose ses boîtes étroites de plexiglas transparent, prépare sa résine synthétique, […] y brasse ses scories et remplit ses réceptacles devenus les reliquaires d’une religion de la consommation. […] Il veut montrer le fait brut. Et d’ailleurs, « les choses s’arrangent entre elles… ». Les poubelles d’Arman finissent par ressembler tantôt à un collage de Schwitters, tantôt à une « composition » informelle. Momifiés, imputrescibles, inaltérables et stables, les détritus « statufiés » d’Arman changent de nature en changeant d’état. Ils finissent par devenir des images. Mais après avoir amélioré leur « emballage », Arman déclare en avoir fini avec les « poubelles ».
Jacques Michel, Le Monde, janvier 1974

Marc Devade

19 février – 13 mars, 1974

La psychanalyse a surtout été utilisée comme une recette (par exemple, chez les surréalistes). Comment voyez-vous cette connaissance de la psychanalyse s’articuler à votre pratique picturale ?
Soulever le voile [des] motifs inconscients, retracer le parcours de la pulsion depuis son fond archaïque jusqu’à la surface consciente qui prend de cette façon une profondeur inouïe, c’est le travail de la peinture, c’est sa pratique et ça n’a rien à voir avec une quelconque représentation surréaliste de l’inconscient conçu comme substance, avec une quelconque mise en scène moderniste genre « body art » ou autre… […] La peinture consiste à tracer ce processus qui passe par ce qui a toujours été refoulé par la figure puis la forme : la couleur, fond pulsionnel sexuel à l’oeuvre, en elle, qui la produit et produit le sujet en même temps et son langage. La pulsion sexuelle de l’homme est un montage hautement complexe, né de la contribution de nombreuses composantes et de pulsions partielles. Ces pulsions ont pour origine des excitations envoyées depuis les zones érogènes […] et qui servent à la vie sexuelle ; une partie de ces excitations est détournée des buts sexuels et dirigée vers d’autres buts, processus qui mérite le nom de « sublimation », comme dit Freud.
Catherine Millet, art press, février 1974

Olivier Mosset

11 avril – 4 mai, 1974

C’est en 1973 que j’ai réalisé des peintures à bandes. Elles ont été exposées en 1974 chez Daniel Templon à Paris et suscitèrent une polémique. L’affaire fut largement envenimée par la distribution anonyme d’un faux carton d’invitation qui titrait l’exposition Hommage à Daniel Buren, puis par l’envoi – de la part de la galerie à destination de son fichier – de la copie d’une lettre de Buren, qui, elle aussi, s’est avérée être un faux ! Si les peintures semblaient s’approprier l’outil visuel de Buren, il s’agissait en fait pour moi d’interroger la question de la signature liée à l’emploi de cet outil et de poser la question du rapport entre forme et fond. A cette date en effet, il me semblait que la réception du travail de BMPT s’était modifiée en raison de l’identification immédiate des peintures à leurs auteurs. Par ce nouveau travail, je voulais revenir sur les réflexions développées lors de l’exposition à la galerie J. et relancer un débat sur la peinture. Cette manifestation présentait des toiles à bandes verticales alternées grises et blanches de 10 cm de largeur, la première et la dernière étant blanches. Les tableaux de 200 x 210 cm étaient d’abord peints en blanc, puis les bandes grises étaient ajoutées.

Cette exposition, au-delà de la polémique, ne t’a-t-elle pas permis de relancer une pratique picturale à partir et hors de BMPT ? En effet, il s’agissait de sortir de la répétition du motif qui m’était associé. Pour aller dans la répétition de quelque chose que je m’appropriais ! En 1976, une deuxième série de ces tableaux à bandes a en effet été présentée chez Daniel Templon. Les toiles étaient alors peintes en blanc, puis en blanc cassé (ou inversement). Je voulais ainsi simultanément réintroduire la couleur et sortir de la répétition, car le blanc était à chaque fois « cassé » par des couleurs différentes. J’ai achevé cette série avec une toile en blanc sur blanc (qui fut vendue en atelier). J’en ai réalisé une similaire, mais qui, dans mon esprit, était son parfait contraire, en novembre 1976 pour la galerie Ecart de Genève.
Propos recueillis par Lionel Bovier et Christophe Cherix Extrait de Olivier Mosset, travaux, works 1966-2003

Martin Barré

Peintures récentes

8 octobre – 2 novembre, 1974

On vous a souvent classé parmi les peintres gestuels mais votre geste ne ressemble en rien, ni à celui des abstraits expressionnistes, ni à celui des abstraits lyriques. Vous avez plutôt toujours mis en rapport ce geste avec des formes presque géométriques. N’y a-t-il pas une contradiction entre l’incontrôlé du geste et la rigueur des formes géométriques ?
Vers 1957-58, je suis sorti progressivement d’une peinture plus en aplat ; la touche s’est libérée… C’est une influence de Frans Hals et non de la peinture gestuelle d’alors, parce qu’à cette époque j’ai prêté beaucoup plus d’attention à Frans Hals qu’à l’« action-painting ». Mais pourquoi le geste serait-il nécessairement synonyme de rigueur et de contrôle ? N’y a t-il pas ici et là au contraire tout un jeu merveilleux de possibilités entre un geste très contrôlé et une géométrie qui tenterait de faire oublier sa rigueur. Toute trace, tout graphisme est le fait d’un geste, même un trait tiré avec une règle. Même un dessin industriel m’apparaît comme un ensemble de gestes. Sans contradictions, sans paradoxes y aurait-il une évolution de la peinture, et sans évolution, une peinture ?

Un élément nouveau était introduit dans les tableaux de la dernière exposition : une découpe formelle – au crayon, presque en filigrane – de la toile. Quel est son rôle, notamment par rapport au geste que cette grille semble vouloir limiter ?
Dans une exposition chaque toile n’est qu’un fragment, ainsi que l’exposition où la série de toiles qui y sont montrées ne sont que des fragments de l’oeuvre. Nous fragmentons par nécessité beaucoup plus que ne le font les architectes ou les cinéastes. Ce caractère fragmentaire est mis en évidence dans mon travail récent : je voudrais que l’on sente combien chaque toile se rattache à un ensemble.
Catherine Millet, art press, novembre 1974

73-74-F-149 x 139, 1973-1974
73-74-F-123 x 114, 1973-1974

L’art au présent

Barré, Ben, Stella, Kosuth, Kelly, Judd…

2 octobre – 10 novembre, 1974

Cette exposition a eu lieu dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, à l’invitation de Monsieur Michel Guy, secrétaire d’Etat à la Culture. Les artistes qui ont participé à l’exposition sont les suivants: Arman, Art Language, Martin Barré, Ben, Victor Burgin, Louis Cane, Marc Devade, Dan Flavin, Jean Le Gac, Giorgio Griffa, Donald Judd, Ellsworth Kelly, Joseph Kosuth, Jacques Martinez, Jean-Michel Meurice, Olivier Mosset, Robert Motherwell, Kenneth Noland, Jules Olitski, Frank Stella, Gérard Titus-Carmel, André Valensi et Bernar Venet.

  • 1974
    Le magasin de Ben, 1974
  • 1974
    Frank Stella, Parzeczew II, 1971
  • 1974
    Vue d’exposition, de gauche à droite: Louis Cane, Arman, Marc Devade, Olivier Mosset
  • 1974
    Dan Flavin, Untitled (Dedicated to the Innovator of Wheeling Peachblow), 1968
  • 1974
    Vue d’exposition, de gauche à droite: Donald Judd et Kenneth Noland, 1974