Histoire

Vincent Bioulès

Les places d’Aix

7 janvier – 2 février, 1978

Les trois premiers quarts de ce siècle nous ont tellement habitués à compter avec l’actualité, et une actualité de plus en plus précipitée que, les idées vieillissant avant de naître, nous avons pris l’habitude de penser que cette actualité fait loi. Le retour sur la question de la modernité, sur ce qu’il pourrait en être d’une culture et d’un art contemporains, amorcé en France il y a une quinzaine d’années, est aujourd’hui encore pratiquement sans effet. Les formes, et les discours, qui les précèdent ou les accompagnent, se succèdent et se remplacent les uns les autres et c’est à peine si leur accumulation, plus ou moins incohérente, est prise en considération. Les galeries, les collections, les musées semblent avoir une fois pour toutes pris leur parti de considérer comme oeuvre tout signe décoratif, futile et éphémère de l’idée de nouveauté. La peinture « abstraite » ne se justifiant que d’elle-même, se satisfait de la reproduction plus ou moins heureuse d’un barbouillage plus ou moins expressif, ou, dans sa version constructiviste, de la réduction du maigre héritage d’un art conceptuel et minimal déjà, comme son nom l’indique, anémique à sa naissance. Il faut savoir que c’est dans ce contexte miroitant de médiocrité, où la commune mesure de l’absence de métier le dispute à l’absence de talent, que quelques artistes tentent d’établir, à travers les inévitables ambiguïtés du goût du jour, une oeuvre qui puisse le moment venu donner sens aux balbutiements de la tribu. C’est en tout cas sur ce fond que j’interrogerai et que j’interpréterai le parcours de Vincent Bioulès. Cette question, ce problème de la référence plus ou moins naturaliste dans l’art contemporain (fût-il le plus minimal, le plus élaboré qui soit), Vincent Bioulès ne se contente pas de le mettre en évidence en reproduisant, selon un code pictural établi une fois pour toutes, quelques ensembles plus ou moins anecdotiques. Traditionnellement dans la peinture naturaliste, c’est toujours la même structure, le même code spatial qui contraint et accueille la variété des images. Si l’on s’arrête un peu plus qu’un moment aux peintures que l’artiste expose aujourd’hui, on ne tarde pas à s’apercevoir que cette proposition se trouve explicitement renversée. C’est ici la même image (une place d’Aix-en-Provence) qui se trouve confrontée à divers types d’organisation spatiale. Mais est-ce bien de confrontation qu’il s’agit ? Ne semble-t-il pas au contraire que l’artiste se soit préoccupé de comprendre et d’accorder cette problématique question de la figure à l’espace qui, en définitive, lui donne sa dimension ?

L’art et la peinture contemporaine semblent feindre de croire qu’une même organisation spatiale peut répondre des diverses expériences qui se proposent aujourd’hui. N’est-ce pas dans cette conviction un peu puérile qu’il faudrait chercher ce qui aujourd’hui entraîne quasi inévitablement l’avant-garde vers une uniformité déjà depuis pas mal d’années tout à fait académique ? C’est la diversité spatiale comme expérience même de la figure que traite ici Vincent Bioulès.
Marcelin Pleynet, art press, février 1978

Louis Cane

6 mai – 8 juin, 1978

Un an après l’exposition Louis Cane à Beaubourg, voici réunis à la galerie Templon les derniers travaux du peintre. Une dizaine de toiles de grand format à l’échelle architecturale (2,30 m sur 1,90 m et 2,30 m sur 3 m) forment un ensemble retentissant des échos lointains de notre passé. Le chef de file des minimalistes ne craint pas aujourd’hui de dire qu’« il cherche à faire le tableau le plus beau possible », renouant ainsi avec la grande tradition picturale. C’est désormais dans ses souvenirs culturels et chez les maîtres anciens qu’il puise son inspiration. Louis Cane appartient à la génération des jeunes artistes de 1968 qui se sont regroupés en 1970 sous le nom de Support-Surface. La réflexion du groupe menée alors sur le rôle idéologique de l’art dans la société, incluant la psychanalyse, la linguistique et la sociologie, débouchait sur une remise en question totale de la peinture. Louis Cane se livrait à une « déconstruction » des composantes traditionnelles de l’art.

 

Découpages de châssis, de supports, de surfaces ; aujourd’hui encore, des peintres continuent à pratiquer cette forme de manipulation du matériau devenu quasi académique. Louis Cane a abandonné ses anciens compagnons de route et qualifie même ses expériences passées d’« anecdotiques ». Ses dernières toiles qui ont définitivement réintégré le châssis traditionnel semblent amorcer la régénération d’une peinture qui lentement s’acheminait vers le néant. Régénération qui puise dans le passé. Dans les bruns, dans les rouges, dans les terres de Sienne, on retrouve Fra Angelico, Ucello, la peinture chinoise et les grottes de Lascaux. Peinture quête qui part à la recherche de  ses ancêtres. Dans ses investigations du passé, Louis Cane « identifie son histoire à l’histoire de son art » et nous livre la façon qu’il a de la penser et de la vivre. Ses peintures sont une relecture des tableaux de maîtres anciens qu’il simplifie selon les lois héritées de la peinture américaine. Peinture savante aux formes référentielles. Un arc de voûte, une porte rappellent la représentation architecturale présente dans les peintures des prérenaissants. Mais, tandis que ces architectures du Trecento étaient miniaturisées, l’espace que découpent les constructions de Louis Cane est aux dimensions de son corps.